Guinée Equatoriale
Cet état insulo-continental d’Afrique centrale (anc. Guinée espagnole), ouvert sur le golfe de Guinée, se compose de l’île de Bioko (ou Bioco, anc. Fernando Póo) et de l’enclave continentale du Mbini (anc. Rio Muni), enserrée entre Cameroun et Gabon. Massif volcanique au climat équatorial, l’île de Bioko fut mise en valeur par l’établissement de grandes plantations (cacao, café, etc.) — voir ci-dessous. À la même époque, au Mbini, dont dépendent trois petites îles (Petite Elobey, Grande Elobey et Corsico), l’agriculture était alors essentiellement vivrière, mais de la ville portuaire de Bata, aujourd’hui métropole économique, était exporté un peu de cacao. Les plantation effectuées en 1884-1885, d’environ 388 hectares, fournirent 474 kg en 1899, puis 197 tonnes l’année suivante. À la fin des années 1960, la Guinée-Équatoriale, dont la capitale est Malabo (sise à la pointe septentrionale de l’île de Bioko), comptait environ 60 000 hectares plantés et produisait quelque 35 000 tonnes de cacao, production valorisée par une industrie locale de transformation. Son cacao était considéré comme le meilleur du continent africain. Mais les turbulences politiques qu’il traversa à partir de 1969 ruina le pays. Propriétaires et travailleurs agricoles espagnols le quittèrent au milieu des années 1970. Le cacao resta, néanmoins, la principale culture de rapport. « En 1999 et 2000, cette branche, très sensible aux variations des prix à la production, a souffert d’une chute des prix de 20 pour cent, qui a eu de fortes répercussions sur les niveaux de production. Ceux-ci ont reculé de 30 pour cent sur 1999/2000, et de 5 pour cent supplémentaires sur 2000/2001. », analyse l’OCDE dans ses Perspectives économiques en Afrique (OCDE/BAfD, 2002). En ces années 1990-2000, un plan, lancé par la Commission européenne et la Coopération espagnole, visa à la relance du secteur cacaoyer et, notamment, à la régénération des cultures. Ancien premier produit d’exportation suivi du bois, le cacao est aujourd’hui considéré comme la deuxième richesse du pays après le pétrole, exploité depuis 1992. Cependant, en dépit d’une stabilisation retrouvée, la cacaoculture « vivote ». Elle occupe environ 5 000 petits planteurs, qui cultivent en moyenne de 2 à 3 hectares.
L’île de Bioko
Située au centre du golfe de Guinée, à environ 300 km de la partie continentale de la Guinée-Équatoriale, mais à seulement 60 km du port de Douala (Cameroun), l’île volcanique de Fernando Póo, découverte vers 1472 par le navigateur portugais Fernão do Pó, bénéficie d’un contexte particulièrement favorable au cacaoyer. « La décomposition du matériau volcanique (cendres) produit des sols riches en matière organique, à forte capacité de rétention en eau, qui conviennent bien aux cultures cacaoyères (Theobroma cacao) et caféière (Coffea robusta, liberica), présentes dans les zones basses inférieures à 700 mètres d’altitude, après défrichement de la forêt tropicale dense humide. », explique Jean Rieucau (1). Peut-être le cacao y fut-il importé par les Espagnols qui, au XVIIe siècle, en auraient fait venir du Venezuela oriental. Mais, en fait, l’Espagne s’intéressa tardivement à ce potentiel économique.
Une première tentative d’introduction de la culture cacaoyère revient au deuxième gouverneur espagnol de Fernando Póo, Annobón et Corisco, José de la Gándara y Navarro (1859-1862), qui, en 1859, débarqua sur l’île pour y occuper son poste ; il était accompagné de trois navires et de cent cinquante-huit colons espagnols, décidés à cultiver le cacao. L’année suivante, il ne restait plus que trois colons, les autres étant soit morts de maladie, soit repartis en Espagne. Suite à cet échec, l’Espagne se tourna vers l’élite locale, constituée de créoles fernandins, pour la plupart protestants et anglophones (2), qui se prêtèrent à l’hispanisation, moyennant l’octroi de grandes propriétés agricoles pour y cultiver cacao ou café. La méthode espagnole s’apparenta à celle qu’elle avait utilisée au xvie siècle au Mexique, les populations étant confiées aux missionnaires clarétains (3) qui, en 1883, y entreprirent la fondation de la Mission de Santa Isabel. Des plantations sortirent rapidement de terre, autour de Santa-Isabel (auj. Malabo) et dans les zones fertiles. Elles exigeaient une importante main-d’œuvre, que la population autochtone, constituée de Bubis, fut farouchement réticente à alimenter. À telle enseigne que le gouvernement colonial fit venir des braceros de la côte occidentale africaine, ainsi que des Caraïbes, « où l’abolition de la traite et ensuite de l’esclavage avait donné naissance à une classe sociale d’un statut personnel indéfini, disponible et prête à s’employer à bon marché dans des conditions de travail plus ou moins forcé. Il y avait certes un contrat mais la nature des relations de travail dans la colonie constituait une véritable “ servitude temporaire et rémunérée ”. » (Alicia Campos Serrano et Plácido Micó Abogo.) (4) La cacaoculture, marquée au sceau d’abus du travail, s’accompagna d’un climat de violence, aggravée par l’instauration, par l’administration espagnole, de deux règlements du travail (1906, 1913) qui contraignaient tout habitant de l’île à travailler, imposaient des sanctions en cas d’insoumission et instauraient le « travail forcé ». Les révoltes ne prirent fin qu’en 1917, lorsque intervint le désarmement total de la population insulaire. « Avant l’invasion coloniale, la population avait […] déjà réagi avec l’ouverture graduelle de petites propriétés de cacao, donnant naissance à une classe de petits cultivateurs rattachés aux marchés coloniaux. L’époque de la Première Guerre mondiale marqua le déclin des planteurs fernandinos, qui laissèrent leur place aux grands capitaux métropolitains et aux petits propriétaires indigènes. » (5) Les Bubis se transformèrent en planteurs. Des Portugais originaires de Saõ Tomé et très au fait de la culture cacaoyère s’établirent dans l’île.
(1) Bioko (Guinée équatoriale) : un espace insulaire stratégique au centre du golfe de Guinée, dans Les Cahiers d’Outre-Mer, 226-227, avril-septembre 2004.
(2) En 1827, les Britanniques fondèrent le port de Malabo (nom actuel), le baptisèrent Clarencetown et en firent une base stratégique dans leur lutte contre la traite négrière dans le golfe de Guinée. Ils y accueillirent un grand nombre d’esclaves libérés. En 1843, ils transférèrent cette base en Sierra Leone. En 1844, les Espagnols reprirent possession de l’île et renommèrent cette ville Santa Isabel.
(3) Congrégation des Missionnaires pour l’évangélisation, créée en 1849 à Vic (Catalogne), autour d’Antoine-Marie Claret.
(4) Travail et Libertés Syndicales en Guinée Équatoriale, Fondation Paix et Solidarité « Serafín Aliaga » – CCOO Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL), Madrid 2006.
(5) Ibid.
À la fin du XIXe siècle, le cacao avait pris le pas sur l’huile de palme dont l’île faisait jusque là commerce. Au début du XXe, l’île approvisionnait l’Espagne en cacao. Sa production s’éleva à 1 557,864 tonnes en 1905-1906, 2 438,856 t en 1906-1907 et 2 267,159 t en 1907-1908. Elle ne craignait pas la concurrence en raison des droits qui pesaient sur les cacaos étrangers. Pour être très bonne, la qualité n’en était pas moins inférieure à celle des cacaos de Saõ Tomé, et cela était en partie due à la mauvaise gestion des plantations. En 1920, où la production avoisina 6 000 tonnes, parmi les dix plus grands planteurs de cacao de l’île, un seul était africain, Maximiliano Cipriano Jones, originaire de Sierra Leone. Pendant les années 1930, les vastes plantations de Fernando Póo constituaient la principale production de la colonie, même si s’annonçait la concurrence de l’exploitation du bois tropical de Río Muni, qui requérait une main-d’œuvre africaine. En 1967, Bioko produisait encore la quasi-totalité du cacao équato-guinéen.
Le régime dictatorial du président Francisco Macías Nguema (1968-1979), qui suivit l’accès du pays à l’indépendance (1968), devait entraîner le démantèlement d’une infrastructure économique quelque peu précaire. Les ouvriers nigérians, qui travaillaient dans les plantations, constituaient les trois quarts de la population insulaire. Au milieu des années 1970, quelque 25 000 d’entre eux furent expulsés des plantations, et, conformément au « travail forcé » (6) instauré par Macias Nguema, ils furent remplacés par autant de Fangs de la partie continentale du pays, qui ne connaissaient rien au cacaoyer et à sa culture (7). « Chaque village et chaque famille du continent étaient alors tenus d’envoyer dans l’île un quota de travailleurs pour sauver la récolte de cacao, ce qui fit resurgir le trafic des personnes d’époques passées. S’ils ne se présentaient pas spontanément, ils étaient détenus et transférés de force de leur village vers les plantations de cacao de l’île ; ces ouvriers n’avaient droit à aucun salaire et ne recevaient qu’une maigre portion alimentaire. » (8) Des conditions de travail intolérables, un secteur en perdition… À partir de 1979, le régime du successeur de Macias Nguema, Teodoro Obiang Nguema Mbazogo, dénationalisa les propriétés cacaoyères, qui passèrent aux mains de proches du pouvoir ou, du moins, entretenant de bonnes relations avec celui-ci. Cette économie amorça un léger redressement. Néanmoins, elle s’était écroulée et était devenue marginale.
(6) Après le coup d’état, en 1979, du colonel Teodoro Obiang Nguema Mbazogo contre son oncle, le président Francisco Macías Nguema, dont il chercha à adoucir un peu les méthodes autocratiques, les « bagnards du cacao » purent rentrer chez eux, en 1980. Néanmoins, cette pratique du « travail forcé persista, de façon larvée. Et il semble que le travail obligatoire dans les cacaoyères reprit en 1983.
(7) Les Fang sont un des cinq groupes ethniques Équato-guinéens ; ils appartiennent à l’ensemble bantou.
(8) Ibid.
Guinée Equatoriale : production de cacao
en milliers de tonnes
1960-61 26,000
1961-62 30,900
1962-63 33,000
1963-64 35,100
1964-65 35,400
1965-66 38,200
1966-67 33,600
1967-68 38,000
1968-69 28,000
1969-70 35,000
1970-71 22,000
1971-72 10,000
1972-73 12,000
1973-74 13,000
1974-75 10,000
1975-76 11,000
1976-77 6,000
1977-78 6,000
1978-79 6,000
1979-80 8,000
1980-81 9,900
1981-82 7,000
1982-83 6,600
1983-84 7,000
1984-85 6,000
1985-86 6,200
1986-87 8,300
1987-88 8,190
1988-89 6,570 1989-90 6,793
1990-91 5,673
1991-92 4,298
1992-93 2,957
1993-94 3,214
1994-95 4,248
1995-96 4,318
1996-97 5,018
1997-98 4,356
1998-99 5,500
1999-2000 4,900
2000-01 4,000
2001-02 2,013
2002-03 2,422
2003-04 3,000
2004-05 3,000
2005-06 2,000
2006-07 2,500
2007-08 2,000
2008-09 1,200
2009-10 1,200
2010-11 1,300
2011-12 ???
2012-13 ???
[Source : FAO.]