Equateur
Luis Cervallos, mon ami, est le meilleur des Équatoriens.
Il est propriétaire de trois plantations de cacao à Naranjito et Chob.
Sa grande plantation de canne à sucre se trouve à Milagro.
Jack London, La folie John Harned
Ouvert sur l’océan Pacifique, cet état d’Amérique du Sud, qui fut sous domination espagnole jusqu’en 1822 (1), est réputé pour ses cacaos très aromatiques.
Au XVIe siècle, un membre de l’expédition de Francisco Pizarro, Diego de Trujillo, aurait observé la présence de cacaoyers dans l’actuelle région d’Esmeraldas. Mais l’existence d’une culture cacaoyère avant l’arrivée des Espagnols, telle que l’affirme William Hickling Prescott dans son ouvrage sur la conquête du Pérou, est aujourd’hui remise en cause, faute de preuves, semble-t-il. En revanche, dès le tout début du XVIIe siècle, cette culture est attestée dans les provinces côtières de Los Ríos, d’El Oro et de Guayas, notamment sur les rives du rio Guayas, près du port de Guayaquil — elle se répandit peu à peu en amont, le long de ses affluents. Le pays bénéficiait de conditions agro-climatiques exceptionnelles. Du fait d’un excellent rendement et d’un transport peu coûteux grâce au réseau fluvial, ce cacao de Guayaquil était moins cher que les autres productions d’Amérique centrale, et il envahit le marché, au point que le cacao guatémaltèque s’effondra. À l’initiative des autorités du Guatemala, appuyées par la Couronne espagnole, des taxes furent alors imposées au commerce équatorien avec interdiction d’exporter du cacao au Guatemala et au Mexique. Ce qui n’empêcha pas la production de cacao d’afficher un essor constant (quelque 1 300 t au début du XVIIIe siècle, environ 1 600 t au début des années 1780), pour passer à 2 600 t à la fin du XVIIIe siècle. Après la levée effective des mesures restrictives (1774) (2), le pays approvisionna largement la nouvelle-Espagne. « Le terroir de Machala, & celui de Naranjal, produisent quantité de Cacao, celui de Machala est le meilleur qui se cueille dans toute la Juridiction de Guayaquil. […] Le Cacao, qu’on doit regarder comme la principale Denrée du Terroir de Guayaquil, est embarqué pour Panama, ou pour les Ports de Sonfonate Realejo, & autres Ports de la nouvelle Espagne, ou enfin pour ceux du Pérou, où le débit est néanmoins médiocre. Il est assez remarquable que dans cette Ville & sa Juridiction, où le Cacao abonde le plus, il s'en consume le moins. », observaient Don George Juan et Don Antoine de Ulloa (Voyage Historique de l’Amérique méridionale fait par ordre du roi d’Espagne) à la fin du XVIIIe siècle.
1930
(1) Absorbé par l’empire Inca au XVe siècle, puis conquis en 1534, par Sebastián de belalcázar, lieutenant de Pizarro, il devint complètement indépendant en 1830.
(2) Néanmoins, le cacao exporté continua d’être frappé d’un lourd impôt jusqu’à l’indépendance du pays.
(3) Parmi lesquelles, celle du premier président de la République, Juan José Fores.
Après l’indépendance, l’Equateur devint le premier producteur mondial de cacao, une primauté qu’il devait conserver, en dépit des turbulences politiques et des ravages de la fièvre jaune dans les zones littorales, jusqu’au début du XXe siècle. A l’ère des grandes exploitations, détenues par quelques grandes familles (3), succéda celle d’entrepreneurs en phase avec les exigences de l’économie moderne et dont le pouvoir, considérable, dépassait largement l’univers du cacao. Guyaquil s’imposa comme le grand port d’embarquement du cacao. L'Espagne demeurait un de ses principaux débouchés, même si, au tournant du XXe siècle, l'Équateur exportait aussi vers la France, l'Angleterre, les États-Unis et la Hollande.
Longtemps, on eut souvent tendance à confondre les crus équatoriens sous l’appellation de Guayaquil. C’est le cas de Georges Pennetier (Leçons sur les matières premières organiques, 1881), lorsqu’il écrit que le Guayaquil « se reconnaît à ses fèves larges et aplaties, arrondies à leurs extrémités, plus minces du côté du germe, recouvertes d’une coque d’un brun plus ou moins foncé avec nuances grisâtres ; à sa chair brun foncé ou noirâtre et à sa saveur forte. Cette sorte est expédiée principalement en Espagne, en Italie, en Allemagne et dans le midi de la France. » En fait, sous le nom du port d’exportation étaient regroupées plusieurs variétés. Plus précis, Paul Zipperer distingue, en 1915, les variétés suivantes : l’arriba, provenant de la région des affluents supérieurs du rio Guaya et qui est surtout utilisé pour la confection du cacao en poudre hollandais — l’arriba d’été, récolté entre avril et juillet, constituant le haut de gamme — ; le machála, plus riche en beurre de cacao, surtout cultivé dans les basses terres bordant le Pérou, face à l’île de Jambeli ; le baláo, à la fève plus ronde, et aux caractères à mi-chemin des deux précédents ; le naranjal et le tenguél, sortes de sous-variétés du précédent, dont ils ne se différencient que par la fève plus grosse et plus plate — baláo, naranjal et tenguél étaient cultivés dans la région de Machala. Parmi ces variétés, l’arriba, provenant d’une variété de forastero autochtone, baptisée nacional et unique au monde, était considéré comme le meilleur, renommé pour sa qualité, son arôme et son goût — « La province de Los Rios se trouve en amont, en espagnol arriba, de Guayaquil près de la rivière Bodegas et de ses affluents ; c’est pourquoi le cacao qui provient de cette région s’appelle “ Arriba ”. », explique Paul Preuss. Vraisemblablement, cette variété nacional était déjà cultivée par les Espagnols au début du XVIIe siècle. Au tournant du XXe siècle, la province de Los Rios possédait le plus de plantations : quelque 30 millions d’arbres, contre cinq fois moins pour la province d’El Oro ou la province de Guayas, et une production en rapport, soit environ cinq fois supérieure.
Toutefois, en l’absence d’encouragements à la culture et en raison de la sensibilité du nacional au balai de sorcière, l’économie cacaoyère régressa considérablement. Les exportations chutèrent. Le sursaut intervint à partir des années 1940. La culture fut relancée ; importés du Venezuela, des trinitarios de qualité inférieure (venezolanos) remplacèrent progressivement les plants de nacional — à telle enseigne que ceux-ci n’occupent plus qu’une surface réduite. Dans les années 1960, la production avoisinait les 30 000 tonnes. Puis elle ne cessa d’augmenter. au cours des années 1990, elle connut des hauts et des bas. La cacaoculture, qui occupait 328 500 hectares en 1990, est tombée à 263 000 hectares en 1999. Parallèlement, un déclin qualitatif se fit ressentir, qui se traduisit, en 1994, par le déclassement de 100 % de cacao fin et aromatique par rapport à la production globale de cacao à 75 %. À l’origine de cette dégradation qualitative : l’érosion génétique du Nacional due aux hybridations évoquées ci-dessus. Au milieu des années 1990, El Niño détruisit une grande partie des cacaoyers. Dès 1997, un clone, le CCN-51, fut planté, avec des résultats qui, pour être spectaculaires, n’en sont pas moins inquiétants pour la qualité du cacao — en 2011, 35 % des anciennes plantations avaient ainsi été remplacées. Ces exploitations à rendement plus élevé permirent de maintenir la production autour de 140 000 tonnes.
Au début du XXIe siècle, la culture cacaoyère concerne essentiellement les provinces de Los Ríos (35 %), de Guayas (25 %), de Manabí (14 %), d’Esmeraldas (8 %) et d’El Oro (5 %), les 13% restants se répartissant entre les provinces de Pichincha, de Cotopaxi, de Bolívar, de Chimborazo, de Cañar, d’Azuay et l’Amazonie équatorienne (4). les petites exploitations, soit 54 % des unités de production, comptent moins de 10 hectares, alors que 33 % des exploitations, de taille moyenne, occupent entre 11 et 50 hectares (5) le commerce du cacao est contrôlé par l’Anecacao (asociación nacional des exportadores de cacao), créée en 1987 et qui a aussi pour objectifs de promouvoir le cacao équatorien, ainsi que d’accroître la qualité et la productivité du cacao nacional (6). Les Etats-Unis, le Japon, ainsi que quelques pays européens (Allemagne et Pays-Bas, notamment) sont ses clients. environ 40 % de la production de fèves sont transformés — beurre de cacao (34 %), pâte (28 %), tourteau (21 %), poudre (17 %) (7) — et exportés principalement vers l’Amérique du Sud. quatre entreprises sont spécialisées dans la fabrication de produits semi-finis, et trois dans la confection de chocolats. Un détail intéressant que soulignait Michel Barel, du CIRAD, en 1989 : « À l’exportation, les contrôles ne considèrent que les catégories fondées sur le grainage et le nombre de défauts : SSS, SS etc. sans tenir compte de la qualité aromatique. Or le Nacional n’a pas de très gros grains : la catégorie supérieure SSS contient finalement plus de CCN-51 aux grains plus gros que de Nacional. / L’appellation “ Équateur ” ne veut donc rien dire si la variété de cacao n’est pas certifiée dès l’export. » (8)
(4) En 1999. source : Anecacao.
(5) En 1999. source : Anecacao.
(6) Elle supporte un institut de recherche, l’InIAP.
(7) En 1999. source : Anecacao.
(8) Chocolat et Confiserie Magazine, mars-avril 2009.
Le cacao d’Équateur
Au début du XXe siècle, Léon Arnou écrivait du guayaquil : « Le cacao Guayaquil dont on distingue trois espèces, l’Ariba, le Balao et le Machala, est un cacao de bonne nature, ayant un goût et un arôme particulier auquel on doit s'habituer ; […] on l'emploie, parce qu'il permet d'incorporer davantage de sucre dans son mélange pour le chocolat. » Henry Jumelle était plus critique lorsqu’il note que le Guayaquil, souvent altéré, entre dans la fabrication des « chocolats inférieurs ». Sa saveur forte le fait, dit-il, « employer pour la préparation des chocolats à bon marché, dans lesquels on les mélange avec des cacaos inférieurs ou avariés, dont ils masquent le mauvais goût ». Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, ce cacao présente une intense amertume pour une couverture puissante et longue en bouche. Sa variété Nacional, qui constitue 30 % du cacao équatorien et ne représente que 0,02 % du marché mondial, a la particularité de n'avoir eu que des hybridations naturelles, car aucun plant n'a jamais été exporté hors du pays. Elle se caractérise par un arôme puissant et floral (qui évoque le jasmin ou la fleur d’oranger), par un goût équilibré, rond et fruité. Ses fèves allient douceur, puissance et finesse. L’acidité est faible, et l’astringence très présente. Ce cacao fait l’objet d’un procédé de fermentation spécifique. il bénéficie de l’appellation « cacao fin ». Il est surtout employé pour les produits requérant une forte teneur en cacao. Quant à l’ecuador plantation (CCN-51), peu aromatique, il est surtout utilisé pour l’extraction du beurre de cacao.
Un fait notable
Si rares, pour ainsi dire inexistants, sont les commentaires des orientaux concernant le cacao qu’il est impossible de ne pas évoquer celui d’un arabe originaire de Mésopotamie, Ilyas ibn Hanna al-Mûsili (9), plus connu sous le nom d’Elias Ibn Hanna, prêtre de l’Église catholique chaldéenne — une des deux minorités chrétiennes qui subsistaient au Moyen-Orient à la fin du XVIIe siècle. En 1668, celui-ci se rendit à Rome, où le pape Clément IX lui permit de voyager en Europe afin de quêter pour son Église. En Espagne, la reine régente, veuve de Philippe IV, l’autorisa, en 1674, à se rendre en Amérique. Ainsi, sous le nom de don Elías de Babilonia, s’embarqua-t-il l’année suivante à Cadix, découvrit-il le Nouveau Monde et ne reprit-il le chemin du retour qu’en 1684. Sa relation de voyage ne fut découverte qu’au début du XXe siècle et publiée peu après (10). À Portobelo, port sis sur l’isthme de Panama et haut lieu du commerce sud-américain à l’époque, il avait vu les galions charger les marchandises, parmi lesquelles du cacao, « qui ressemble au café en goût et en parfum, mais qui est plus riche ». Toutefois, c’est à Guayaquil que le religieux découvrit le chocolat. « Vous croiriez qu’il s’agit de café en couleur, goût et parfum, mais c’est très gras, de sorte qu’on en fait une pâte. Ils ajoutent autant de sucre que nécessaire, ainsi que de la cannelle et de l’ambre gris. Puis ils les incorporent à de la pâte et déposent le mélange dans des moules pour lui donner forme. Ils font fondre les tablettes de chocolat et boivent celui-ci comme du café. » (TDA.)
(9) Al-Mawsili, al-Mawsuli, ou al-Mausuli. C’est-à-dire « Elías, fils de Jean de Mossoul » (ville d’Iraq, sur le Tigre).
(10) Rihlat awwal sharqi ilá Amrikah 1668-1683 (Beyrouth, al-Matba`ah al-Kathulikah, 1906). Avec un titre complémentaire en français : Le plus ancien voyage d'un Oriental en Amérique (1668-1683). Voyage du curé chaldéen Elias, fils du prêtre Jean de Mossoul, d'après le manuscrit de l'archevêché syrien d'Alep (Beyrouth, Imprimerie Catholique, 1906).
Équateur : production de cacao
en milliers de tonnes
1893-94 19,560
1894-95 18,956
1895-96 17,115
1896-97 17,564
1897-98 21,089
1898-99 27,703
1899-1900 18,803
1900-01 22,896
1901-02 24,965
1902-03 23,238
1903-04 28,000
1904-05 21,000
1905-06 23,426
1906-07 19,670
1907-08 32,119
1908-09 32,000
1909-10 37,000
1910-11 40,000
1911-12 37,000
1912-13 43,000
1913-14 45,000
1914-15 36,000
1915-16 50,000
1916-17 47,000
1917-18 38,000
1918-19 38,000
1919-20 40,000
1920-21 41,000
1921-22 41,000
1922-23 29,000
1923-24 30,000
1924-25 30,000
1925-26 18,000
1926-27 20,000
1927-28 20,000
1928-29 15,000
1929-30 17,000
1930-31 14,000
1931-32 15,000
1932-33 10,000
1933-34 19,000
1934-35 20,000
1935-36 19,000
1936-37 21,000
1937-38 19,000
1938-39 15,000
1939-40 11,000
1940-41 14,000
1941-42 14,000
1942-43 18,000
1943-44 14,000
1944-45 17,000
1945-46 17,000
1946-47 16,000
1947-48 16,000
1948-49 20,000
1949-50 21,000
1950-51 32,000
1951-52 24,000
1952-53 29,000
1953-54 26,000
1954-55 33,000
1955-56 32,000
1956-57 32,000
1957-58 31,000
1958-59 34,000
1959-60 35,000
1960-61 44,100
1961-62 44,300
1962-63 44,300
1963-64 37,800
1964-65 49,900
1965-66 50,764
1966-67 61,236
1967-68 81,724
1968-69 47,993
1969-70 53,584
1970-71 70,806
1971-72 67,784
1972-73 63,374
1973-74 91,039
1974-75 75,272
1975-76 65,192
1976-77 72,120
1977-78 72,085
1978-79 77,407
1979-80 91,215
1980-81 80,460
1981-82 96,941
1982-83 45,000
1983-84 77,000
1984-85 130,772
1985-86 89,913
1986-87 57,529
1987-88 85,110
1988-89 82,880
1989-90 96,722
1990-91 100,454
1991-92 93,999
1992-93 82,729
1993-94 81,163
1994-95 85,505
1995-96 93,821
1996-97 83,385
1997-98 35,006
1998-99 94,687
1999-2000 99,875
2000-01 76,030
2001-02 87,986
2002-03 88,263
2003-04 89,680
2004-05 93,658
2005-06 87,561
2006-07 85,891
2007-08 94,300
2008-09 120,582
2009-10 132,100
2010-11 224,163
2011-12 ?????
2012-13 ??????
[Source : FAO (1960-2013).]
2012
Ajouter un commentaire
Commentaires