La Marquise de Sévigné
(France)
C’est en 1892 qu’Auguste Rouzaud (1858-1934), contrôleur des mines, et, son épouse, Clémentine Bouchet, fille d’un confiseur de Clermont-Ferrand, qu’il avait épousée en 1887, décidèrent de reprendre la petite chocolaterie de Royat, station thermale du Puy-de-Dôme. Certes, il fallut quelque temps à Auguste Rouzaud pour maîtriser la connaissance du cacao et la fabrication du chocolat. Mais il misa d’emblée à la fois sur la qualité de ses produits et sur le raffinement de ses conditionnements, comme l’atteste la devise choisie Nec plus Ultra. Cette exigence se traduisit, de façon tout à fait novatrice, par l’édition d’un élégant catalogue de vente par correspondance, proposant tablettes, cacao en poudre et chocolat en granulés. En 1898, le couple ouvrit un deuxième magasin à Vichy. Ce fut, dit-on, à la suite de la représentation de la pièce Cyrano de Bergerac au casino de Vichy et du séjour d’Edmond Rostand au pavillon Sévigné que Clémentine Rouzaud, qui avait fait livrer au dramaturge un beau coffret de chocolats, se souvint des lettres de Mme de Sévigné à sa fille dans lesquelles il était question de chocolat et eut l’idée de baptiser sa marque « À La Marquise de Sévigné ». Celle-ci, déposée en 1903 au greffe du Tribunal de Commerce de Clermont-Ferrand, devint rapidement synonyme de luxe.
Dépliant du Circuit d'Auvergne Automobile 1905.
Le succès de ce chocolat fut tel que les Rouzaud créèrent de jolies boutiques à Clermont-Ferrand, Lyon, Nice, puis en 1906, à Paris (boulevard de la Madeleine) et ensuite à Deauville, Monte-Carlo, etc. Le magasin parisien était particulièrement bien décoré. Sa découverte à la faveur d’une promenade dans Paris en 1909 est intéressante en la matière : « Tout près de la maison Leroy, au numéro 11, nous ne pourrons faire autrement que d’entrer chez La Marquise de Sévigné, dont l’aimable patronage préside aux destinées du magasin de chocolat de Royat. La maison Rouzaud n’est installée que depuis quelques années à Paris ; mais l’excellence de ses bonbons et le charme de ses magasins, qui furent aménagés avec de grands raffinements artistiques, lui donnèrent bien vite droit de cité. Le nom de la Marquise de Sévigné donne à cette maison une grâce spéciale et très évocatrice. Le charmant portrait de celle qui fut toute grâce et tout esprit nous accueille dès l’entrée et nous reçoit dans cette maison qu’elle domine de sa présence./Le médaillon de la Marquise s’encadre de boiseries sculptées reproduites de Trianon et nous contemplons le portrait aux grâces surannées de l’aimable habituée de l’hôtel de Rambouillet qui disait à son cousin Bussy-Rabutin : “ Je suis un peu fâchée que vous n’aimiez pas les madrigaux. Ils sont les maris des épigrammes et ce sont de si jolis ménages quand ils sont bons ”. / La Marquise de Sévigné aurait aimé que l’on adressât un madrigal au charmant magasin auquel son souvenir a porté bonheur, et où les friandises semblent certainement meilleures, savourées dans un tel décor. / En dehors de son magasin du boulevard de la Madeleine, la maison de Chocolat de Royat qui a obtenu les plus hautes récompenses à toutes les expositions, possède des succursales dans maintes villes de France, notamment sur la Riviera, à Nice et dans toutes les stations balnéaires de l’Auvergne. » (1)
(1) La Ville lumière : anecdotes et documents historiques, ethnographiques, littéraires, artistiques, commerciaux et encyclopédiques, Paris, Direction et Administration, 25 Rue Louis Legrand, 1909.
Ci-dessus : la boutique parisienne,
La Mode Illustrée, 21 novembre 1909.
Ci-contre : Royat mondain : journal artistique, littéraire et mondain ["puis" journal artistique et littéraire]..., 5 septembre 1906
Sa clientèle compta les plus grandes personnalités du temps, de Clémenceau à Salvador Dali, de Douglas Fairbanks à Francis Carco, de Raoul Dufy à Joséphine Baker… Alors que Clémentine avait en charge la présentation des chocolats, Auguste sélectionnait les meilleurs crus de cacao et présidait à l’alchimie du chocolat. Dans ses mémoires (2), la Société des ingénieurs civils évoque une visite de la fabrique en ces termes : « C’est […] au son de narines frémissantes que nous pénétrâmes dans ce sanctuaire du goût, de l’odorat et de l’élégance. La spécialité de cette chocolaterie est précisément de faire des excellents chocolats vendus très chers. Elle possède cependant des appareils de torréfaction dernier cri, des broyeuses ultra-modernes […]. La pâte ainsi préparée constitue alors la matière première d’une série de bonbons de formes variées, fourrés de délicieuses pâtes de fruits ou d’amandes […]. C’est une industrie de luxe et d’exportation, qui, à ce dernier titre, mérite d’être encouragée. » De la notion de « luxe » est indissociable le conditionnement des chocolats. Aussi, autant que la délicatesse des bonbons, les boîtages de cette chocolaterie ont-ils participé à son renom. Nombre d’entre eux arboraient le portrait de la marquise de Sévigné par Nanteuil. « D’autres présentations seront totalement originales, reflétant non seulement leur époque mais conjuguant divers métiers d’art : coffrets gainés de cuir signés Loewe, orfèvrerie de Puiforcat, sabots en cristal de Baccarat, porcelaines de Limoges ou encore boîtes somptueuses laquées polychromes d’esprit “ africaniste ” dans le goût de Jean Dunand ou de Hamanaka. », indique Jean-Marie Martin-Hattemberg (3).
(2) Mémoires et compte rendu des travaux de la Société des ingénieurs civils, Paris 1925.
(3) Dans L’Officiel du Goût, n°3, mars 2002.
Coll. A. P.-R.
Dans les coulisses de cette production raffinée : une entreprise ancrée dans la modernité et soucieuse du bien-être de ses employés. Sise dans la vallée de la Tiretaine, elle fonctionne par la force hydraulique, la vapeur et l'électricité ; elle utilise les machines lesplus modernes. Quant au personnel, outre la participation aux bénéfices accordée aux plus méritants, il bénéficie, sans exception, es soins médicaux, de la pharmacie, des bains, d'une société de secours mutuell…
Coll. A. P.-R.
Reprise à la mort d’Auguste Rouzaud, en 1934, par son fils Georges, puis à la disparition de ce dernier, dix ans plus tard, par madame Rouzaud, assistée de ses petits-enfants, la maison resta familiale, tout en connaissant des fortunes diverses, jusqu’à son rachat, en 1970, par la Générale alimentaire. En 1973, elle fut cédée à Paul Burrus, originaire du Jura et propriétaire de la Société Chocolats et Confiserie de Luxe (voir Omnia) qui exploitait la chocolaterie Schaal, près de Strasbourg. Celui-ci la restaura dans la tradition de qualité et d’élégance qui avait fait sa renommée. En 1985, Jean-Paul Burrus, appartenant à la troisième génération de cette famille de chocolatiers, prit les rênes de l’entreprise. Depuis lors, la marque reste fidèle à elle-même, tout en s’adaptant à notre époque et à l’évolution des goûts. Avec la ligne Rhapsodie lancée en 1994, elle a choisi la couleur bleue pour véhiculer son image.
En 2000, La Marquise de Sévigné fêta Pâques en offrant 20 000 œufs en chocolat à l’occasion d’une chasse aux œufs organisée dans les jardins du château de Vaux-le-Vicomte. Cette même année, elle collabora avec le couturier André Courrèges pour le défilé de mode du Salon du Chocolat, à Paris.
Etiquette chromolithographiée, coll. A. P.-R.
La publicité
1911
1930
L'Illustration, n°4787, 1er décembre 1934.
L'Illustration, n°4892, 5 décembre 1936.
L'Illustration, n°4946, 18 décembre 1937.
Vers 1930
1949
[…] la moderne Sévigné, Madame Rouzaud qui, — eut-on dit sous le premier Empire, — préside, avec un goût parfait, à toutes les créations du Palais de la Gourmandise, n’a pas oublié que son illustre devancière, la gracieuse marquise, elle aussi, fut à la guerre. Et elle s’est plu à la rappeler en ces boîtes dont les gravures, la marquise de Sévigné au siège de Douai, la marquise de Sévigné au défilé des troupes victorieuses, pourront constituer des documents pour l’iconographie de cette grande figure historique.
Sous la direction de John Grand-Carteret
La musée et l’encyclopédie de la guerre…
Il y a une mode qui change, chaque mois, pour les boîtes de chocolat de la marquise de Sévigné. Et voici encore des pâtisseries et des pâtisseries où Augusta, Espéranza et Synovie, quand elles sont parisiennes, jamais ne manquent de venir se goinfrer entre deux dévotions à Saint-Honoré-d’Eylau, la paroisse la plus riche de Paris qu’encense respectueusement le fumet des plus fines mangeailles.
René Crevel
Les Pieds dans le plat
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